Introduction
Alors que des employeurs attaquent plusieurs médecins du travail pour avoir attesté en écrit l’origine professionnelle des altérations de l’état de santé des salariés, il apparaît utile de revoir, de point de vue juridique et pratique, toutes les situations où le médecin du travail est amené à se prononcer sur le lien santé – travail.
Cadre juridique du dépistage du lien santé- travail
Dans le Code du travail, le diagnostic du lien santé – travail est inclus la mission générale de prévention attribuée au médecin du travail qui « consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé » (Code du Travail, article L4622-3).
Par la surveillance de l’état de santé des travailleurs, le médecin du travail dépiste les maladies liées aux conditions de travail, idéalement en phase précoce, afin de conseiller des mesures de prévention pour éviter leur aggravation.
Il peut aussi prescrire les examens complémentaires nécessaires « au dépistage d’une maladie professionnelle ou à caractère professionnel susceptible de résulter de l’activité professionnelle du salarié » (Code du Travail, article R4624-25).
Tenue du dossier médical en santé au travail
Selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2009 sur le dossier médical en santé au travail, l’existence d’un lien entre les facteurs professionnels et l’état de santé doit être systématiquement consignée à l’occasion de chaque visite médicale.
Le dossier médical en santé au travail est un outil important de traçabilité des expositions professionnelles et le suivi de l’évolution de l’état de santé, en lien avec ces expositions.
Ces recommandations de bonnes pratiques élaborées par la HAS ont pour objet de guider les professionnels de santé dans leur pratique, ceux-ci étant dans l’obligation déontologique d’assurer au patients des soins conformes au niveau scientifique actuel (Code de la Santé Publique, article R4127-32)
Le médecin du travail est tenu à respecter dans son activité les recommandations de bonnes pratiques de surveillance médicale (Code du Travail, articles R4624-16 et art. R4624-19).
Reconnaissance des maladies professionnelles
Le système français de reconnaissance des maladies professionnelles (automatique, en vertu du principe de présomption d’origine, dès lors qu’elles sont prévues dans les tableaux et tous les critères sont remplis) dispense généralement le médecin du travail de donner un avis d’expert sur l’origine professionnelle ou non d’une maladie, souvent il n’est même pas au courant qu’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle a été déposée.
Ce système facilite beaucoup la reconnaissance en maladie professionnelle d’un certain nombre de cas qui rentrent dans les cases des tableaux et la rend quasi-impossible pour les autres.
Le médecin du travail est cependant appelé à se positionner en tant qu’expert sur le lien santé-travail en cas de demande de reconnaissance d’une maladie hors tableau avec IPP prévisible supérieure à 25 % ou d’une maladie mentionnée dans un tableau, si le critère administratif ou professionnel n’est pas rempli ; il établit dans cette situation un rapport médical pour le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles.
Dans la fonction publique, à chaque demande de reconnaissance de maladie survenue en service (= équivalent de la maladie professionnelle), le médecin du travail doit établir un rapport médical à la Commission de Réforme.
Signalement de maladies à caractère professionnel
Le signalement des maladies à caractère professionnel est obligatoire pour tout docteur en médecine et notamment pour le médecin du travail. (Code de la Sécurité Sociale, article L461-6)
Bien que non-nominatif, les informations mentionnées dans le formulaire de signalement envoyé à l’Inspection Médicale du Travail renseignent sur l’identité de la personne : mois et année de naissance, sexe, intitulé du poste occupé et ses particularités, entreprise. Une copie de la fiche de signalement reste dans le dossier médical.
Les objectifs du signalement sont statistiques. Pour les autorités publiques, il s’agit de collecter des informations de terrain sur la prévalence de maladies liées au travail, pour l’employeur et les représentants des salariés, il s’agit de prendre connaissance collectivement de l’efficacité des mesures de protection existantes et des répercussions sur la santé du personnel.
Information du patient sur son état de santé
L’information du patient sur son état de santé par le médecin, dans le cadre de ses compétences spécifiques et dans les limites des règles professionnelles, est un droit fondamental du patient (Code de la Santé Publique, article L1111-2, article R.4127-35).
La compétence spécifique du médecin du travail étant la pathologie professionnelle, l’information portera sur la contribution et le mécanisme d’action possible des facteurs professionnels dans le développement de la maladie. La précision sur la cause probable d’une maladie fait partie intégrante d’un diagnostic complet. L’information doit aussi porter sur le risque d’aggravation ou rechute en cas de reprise de l’exposition.
Cette information devrait être prioritairement orale, mais comme le médecin doit être en mesure de prouver de l’avoir bien donnée, il doit mentionner en écrit dans le dossier médical de l’avoir délivrée, ainsi qu’éventuellement le contenu même de l’information.
Le Code du Travail prévoit exprésemment la délivrance d’une fiche médicale à la demande du salarié, à l’article D4624-48. Il s’agit d’une synthèse du dossier médical.
Échanges entre médecins
Le médecin du travail peut échanger, avec l’accord du salarié, des informations de santé avec les autres médecins impliqués dans la prise en charge du patient. La précision sur l’étiologie probable de la maladie et les facteurs de risque aggravants est une information qui modifie la prise en charge thérapeutique : le médecin traitant ainsi informé pourra prescrire un arrêt du travail pour interrompre l’exposition au facteur de risque professionnel et permettre la guérison.
Accès au dossier médical
Le salarié-patient a accès, sur demande écrite, à son dossier médical en santé et aux pièces communicables contenues dans ce dossier.
Délivrance de certificats médicaux
La référence juridique sur la délivrance de certificats sur l’état de santé d’un patient est celle qui régit l’activité médicale en général, à savoir le Code de la Santé Publique qui reprend le Code de Déontologie Médicale.
La délivrance de certificats par le médecin du travail sert à éclairer la personne concernée sur son état de santé et l’origine de la maladie actuelle. Il s’agit d’un acte normal qui fait partie intégrante de l’exercice de la médecine (Code de la Santé Publique, article R4127-76) et qui rentre ainsi dans les compétences d’un médecin du travail.
Il va de soit que cet acte médical, qui consiste à constater et à interpréter l’état de santé et qui entraîne la responsabilité du médecin, doit être parfaitement objectif, car « la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite » (Code de la Santé Publique, article R4127-28).
La particularité exclusive de l’exercice de la médecine du travail par rapport aux autres spécialités médicales est l’action en milieu du travail, à savoir l’étude des postes de travail, en vue de l’identification et l’évaluation des risques professionnels pour la santé des salariés.
Ces facteurs de risque de maladie, constatés par le médecin du travail ou autrement bien documentés, doivent être signalées à l’employeur via la fiche d’entreprise, dans des courriers d’alerte et de conseil, en réunion du CHSCT, etc. Il s’agit d’une obligation légale, à défaut la responsabilité du médecin peut être recherchée, comme a été le cas du médecin du travail mis en examen dans le dossier de l’amiante.
Lors de la survenue d’une maladie spécifique pour le risque identifié et si tous les critères scientifiques sont par ailleurs remplis, le médecin a tous les éléments de preuve à sa disposition pour pouvoir certifier l’origine professionnelle de la maladie du salarié travaillant à ce poste-là.
Le certificat va attester l’état de santé constaté par le médecin qu’il va mettre en corrélation avec l’exposition connue à des facteurs professionnels et individuels avérés, dans les limites d’un raisonnement scientifiquement solide et objectif.
Les bonnes pratiques suivantes sont à retenir des recommandations du Conseil de l’Ordre des Médecins : ne rédiger le certificat qu’après l’examen clinique approfondi de la personne, ne transcrire que si vraiment nécessaire les dires du patient et dans ce cas-là au conditionnel et entre guillemets.
La recommandation générale du CNOM de 2006 aux médecins de limiter ses propos à ce qui concerne le patient et lui seul et ne pas mettre en cause ou faire référence à des tiers dans le certificat médical ne s’applique pas aux médecins du travail qui auront étudié les situations de travail et les expositions professionnelles.
« S’agissant des risques psycho-sociaux, le médecin peut estimer souhaitable de se référer au vécu de l’individu, concernant notamment ses conditions de travail, il ne saurait pour autant, dans un certificat médical, attester de faits qu’il n’a pas personnellement constatés » (jugement du 16/01/2014 de la Chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des Médecins du Centre, dans le cas du Dr HUEZ).
Le certificat est délivré à la demande justifiée du patient et remis en main propre.
« Le médecin doit, sans céder à aucune demande abusive, faciliter l’obtention par le patient des avantages sociaux auxquels son état lui donne droit. » (Code de la Santé Publique, article R4127-50)
Le salarié/patient est libre de se servir de cette information personnelle sur son propre état de santé comme bon lui semble.
Références
Paul FRIMAT, Sophie FANTONI – « Rédaction des certificats médicaux en médecine du travail : Savoir raison garder… » , 2013
Haute Autorité de Santé – « Recommandations de bonne pratique: Dossier médical en santé au travail », 2009
Conseil de l’Ordre des Médecins – « Les certificats médicaux », 2006
Page créée le 29/05/2013.