La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité (OMS, 1946).
La définition internationale commune du Bureau International du Travail et de l’Organisation Mondiale de la Santé (1950, révisée en 1995):
« La santé au travail devrait viser les objectifs suivants:
Etudions maintenant l’évolution législative récente dans la lumière de ces principes:
L’auteur n’a connaissance d’aucun texte réglementaire français qui précise cette mission pour les médecins du travail, les services de santé au travail ou encore sous forme d’obligation pour les employeurs. Si c’est le cas, c’est très étrange qu’en France on ne se fixe pas cet objectif (pourtant défini par le BIT et l’OMS depuis 1950!)
Je remercie par avance aux lecteurs avisés qui voudraient bien m’éclairer sur ce sujet (adresse mail: ).
Cette objectif est généralement bien repris dans la législation française.
Par rapport à la réforme récente, il a quand même un involution: le decrét n°2012-135 du 30 janvier 2012 retire du Code du travail le texte « Le médecin du travail agit dans l’intérêt exclusif de la santé et de la sécurité des salariés dont il assure la surveillance médicale », inclus auparavant à l’article R4623-15.
Pour un médecin, agir dans l’intérêt de la santé de son patient est essentiel. Pourquoi donc cette modification ?
Qu’est qui aurait pu déranger? L’expression « intérêt exclusif »? Faut-il comprendre qu’il y a d’autres intérêts à prendre en compte, à part celui de la santé du salarié? Et que ces autres intérêts sont tellement importants qu’il fallait retirer ce texte dans son ensemble?
Ce n’est pas impossible, car le Code du travail prévoit déjà pour les médecins du travail un rôle de sélection des salariés les plus « résistants » aux produits cancérogènes et aux rayonnements ionisants, aux articles R4412-44 et R4451-82. Il s’agit de la mention sur la fiche d’aptitude d’absence de contre-indication à l’exposition à ces risques, ce qui revient à médicalement cautionner ces expositions. Dans ce cas précis, le législateur attribue au médecin du travail la mission de gestion des risques de maladie professionnelle pour le compte de l’employeur (à savoir limiter le nombre de maladies professionnelles), à l’encontre des intérêts individuels de santé (autorisation médicale de la poursuite de l’exposition à des agents cancèrogènes pour les salariés en bonne santé).
Heureusement, un autre texte, d’un autre code, reprend la même idée que celui qui a été abrogé: «Le médecin doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce. » (article R4127-95 du Code de la santé publique)
Par ailleurs, il faut savoir qu’en pratique, lors des visites médicales, le médecin est très souvent en situation de conflit éthique, où il doit choisir entre l’intérêt de la santé et l’intérêt économique de la personne, soit entre la protection de la santé et le maintien dans l’emploi. La délivrance d’un avis d’aptitude cautionne en quelque sorte la continuation de l’exposition professionnelle à des contraintes et des nuisances responsables d’une aggravation de l’état de santé. Il est aussi vrai que pour la personne concernée, le préservation de l’emploi évite des situations de précarité, très délétères également sur le plan psychologique et de la santé physique.
Pour revenir à l’objectif n°2 de la définition BIT/OMS, la protection de la santé au travail, il faut mentionner une évolution législative positive dans la la loi du 20 juillet 2011.
Les alertes du médecin du travail à l’employeur sur les risques pour la santé des travailleurs sont facilitées: « Lorsque le médecin du travail constate la présence d’un risque pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver. L’employeur prend en considération ces propositions et, en cas de refus, fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite. » (article L4624-3 du Code du travail). La pression sur l’employeur est considérable: il ne peut plus affirmer ne pas avoir eu connaissance du risque. En cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail, la faute inexcusable pourra être recherchée.
Par ailleurs, les services de santé au travail se voient attribuée une « mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail » (article L4622-2). Ces services sont dans la plupart constituées de médecins du travail qui avaient déjà cette mission (article L4622-3), mais pas les membres des équipes pluridisciplinaires (infirmières, IPRP, asistantes en santé au travail).
La formule utilisée reste maladroite et inadaptée car le médecin du travail (ou le service de santé au travail) ne peut pas « éviter » l’altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, à part la décision d’inaptitude médicale qui effectivement lui appartient en totalité ; à moins de mettre inaptes tous les salariés exposés à des risques professionnels, le médecin du travail ne peut faire que surveiller et conseiller l’employeur.
Pour ce qui est de la protection de la santé et de la sécurité c’est uniquement l’employeur et ses préposés qui peuvent la mettre en œuvre, en suivant éventuellement les conseils du médecin du travail ou des autres intervenants des services de santé au travail.
La récente réforme législative comporte des modifications sur ce sujet.
La visite de pré-reprise est rendue obligatoire après 3 mois d’arrêt maladie (article R4624-20), ce qui permet de commencer plus tôt la réflexion sur l’aménagement du poste de travail selon l’état de santé du salarié ou de prendre d’autres mesures socio-professionnelles. C’est une très bonne mesure qui permettra de prévenir certaines situations de désinsertion professionnelle.
L’article R4623-1 prévoit désormais que le médecin du travail est le conseiller de l’employeur, des travailleurs, des représentants du personnel et des services sociaux, en ce qui concerne […] : « l’adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail à la santé physique et mentale, notamment en vue de préserver le maintien dans l’emploi des salariés »
Cet article prévoyait auparavant la mission de conseil sur « l’adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail à la physiologie humaine ».
La différence est importante. Il ne s’agit plus de adapter le travail à la physiologie humaine, soit à rendre le travail ergonomique, adapté pour n’importe quel individu affecté au poste de travail, mais d’adapter le travail à la santé individuelle, en vue du maintien dans l’emploi du salarié.
L’objectif n’est plus un objectif d’ergonomie du travail, soit de un objectif de santé collective, mais un objectif de maintien dans l’emploi de la main d’œuvre, soit un objectif économique bénéfique pour la société, dans un contexte de l’allongement de la période de cotisation.
L’action du médecin du travail ne saurait pas être limitée au maintien dans l’emploi, mais devrait aller bien au délà, dans l’intérêt de la préservation et de la promotion de la santé.
Page créée le 21/03/2012.