Réflexions sur l’aptitude médicale au poste de travail

Toute évaluation correcte nécessite une connaissance approfondie du travail (exposition à des nuisances et contraintes professionnelles, conditions et organisation du travail) et de l’état de santé (antécédents et maladies actuelles).

L’évaluation médicale de la compatibilité entre un poste de travail et l’état de santé d’une personne implique l’appréciation de trois axes : capacités, risques, tolérance.

Evaluation des capacités :

  • présence des capacités physiques et psychiques minimales pour faire le travail requis (force, résistance, flexibilité etc.)
  • les capacités peuvent être mesurées scientifiquement avec une précision acceptable
  • l’entraînement (travail, sport, rééducation fonctionnelle) augmente les capacités individuelles
  • l’expérience permet à l’individu de développer des compétences ou des savoir-faire permettant de faire face aux sollicitations du travail même en présence de capacités limitées
  • la médecine du travail n’étant pas une médecine d’aptitude, comme rappelé par le Conseil d’Etat en 2006, son objectif étant exclusivement préventif selon le Code du travail, l’évaluation des capacités est réalisée en médecine du travail en vue de proposer, le cas échéant, une adaptation du travail aux capacités physiques ou psychiques du salarié, en s’appuyant éventuellement sur le dispositif de compensation du handicap professionnel des travailleurs malades (travailleurs handicapés) ou encore pour offrir aux travailleurs malades, incapable de faire leur travail une solution plus convenable de sortie de l’emploi

Evaluation de la tolérance :

  • la tolérance est une notion psychophysiologique de la capacité à tolérer un certain rythme de travail ou certaines contraintes professionnelles par rapport à des sensations subjectives comme la douleur ou la fatigue
  • la tolérance ne peut pas être mesurée de manière objective
  • elle est augmentée par la motivation, la recherche d’une récompense matérielle ou d’une satisfaction psychologique est diminuée par des facteurs individuels (un terrain psychologique fragile), ou encore par des facteurs psychosociaux professionnels avec mécanisme d’action sur l’émotionnel (relationnel dégradé, absence de reconnaissance des efforts, absence de latitude décisionnelle etc.)
  • elle est influencée également par l’attitude et les informations délivrées par des professionnels de santé (médecin traitant, médecin spécialiste, médecin du travail), qui influent sur le niveau de tolérance et sur l’évolution future (exemple classique des lombalgies, où la peur de ne pas se faire mal et l’inactivité sont des facteurs d’évolution défavorable)
  • dans le domaine de la santé mentale, les notions de capacité et de tolérance se confondent

Evaluation des risques :

  • risque d’accident ou maladie pour la personne même, des collègues de travail ou des tiers, en raison d’une maladie préexistante (exemple : risque d’accident routier pour une personne ayant une mauvaise vision de loin ou sujette à des crises d’épilepsie)
  • risque d’évolution d’aggravation d’une maladie préexistante (exemple : déstabilisation d’un diabète insulinodépendant en cas de travail de nuit ou aggravation)
  • le rôle du médecin est de faire une évaluation du risque, en prenant en compte les contraintes du travail et les expositions à des nuisances professionnelles d’un côté et les facteurs individuels liés à l’état de santé d’un autre, de conseiller l’employeur et le salarié sur les mesures de prévention à prendre, individuelles ou collectives, médicales ou professionnelles et le suivi médical nécessaire
  • l’évaluation du risque s’appuie sur les résultats des études statistiques, des consensus collectifs ou sur l’expérience du médecin, mais comporte une part de subjectivité et d’approximation
  • dans les cas où le risque reste très important, malgré les mesures de protection et prévention qui puissent être mises en œuvre, il est simple pour le médecin d’obtenir l’adhésion du salarié à la décision de restriction de l’activité, voire de changement d’emploi
  • la situation la plus fréquente est celle où le risque est peu important à court terme, mais grave à long terme (voir tous les risques professionnels qualifiés en « facteurs de pénibilité au travail ») et les mesures de prévention insuffisantes – l’intérêt de santé du salarié est en contradiction avec son intérêt économique ou professionnel
  • pour l’employeur l’enjeu est la réduction du nombre d’accidents du travail ou de maladie professionnelle, dans un objectif d’éviter des pénalités financières lourdes
  • en France, le législateur a introduit explicitement dans le droit la notion de sélection des travailleurs les plus résistants à certaines nuisances professionnelles, comme moyen de diminuer le risque de développer une maladie professionnelle – certains articles du Code du travail demandent au médecin de se prononcer sur l’absence de contre-indications à l’exposition aux rayonnements ionisants, aux substances cancérogènes et au travail de nuit, en prenant en compte des facteurs individuels d’ordre génétique, historique ou comportemental, comme précise par le Conseil d’Etat en 2002
  • cette exigence législative est difficile à respecter par un médecin de prévention, car si au niveau collectif elle a une certaine logique, au niveau individuel elle est alléatoire, voire inacceptable de point de vue éthique :
    • scientifiquement, il est impossible de prédire quels seront les individus qui vont développer une maladie, même en présence de facteurs de susceptibilité individuelle; de ce fait, elle demande au médecin d’écarter de l’emploi un grand nombre de travailleurs, qui n’auraient jamais développé la maladie, afin d’éviter à quelques uns de tomber malades;
    • il ne s’agit pas pour autant d’une mesure protectrice de la santé des travailleurs, car elle laisse les travailleurs sains et sans éléments de susceptibilité individuelle exposés à des nuisances professionnelles certaines (rayonnements ionisants, cancérogènes, travail de nuit), dont une partie développeront une maladie suite à ces expositions
    • pour mieux illustrer l’absurdité de cette exigence, c’est comme si on demandait à un pneumologue de se prononcer sur l’absence de contre-indication à continuer à fumer !

Au vue des discussions ci-dessus, un avis d’aptitude du médecin du travail doit être entendu come suit :

  • se porte uniquement sur la présence théorique des capacités minimales pour réaliser le travail
  • ne représente aucunement une garantie de l’absence de répercussions sur la santé des salariés
  • ne doit pas être compris comme validation médicale de l’exposition à des facteurs de risque professionnels
  • ne met pas en cause l’importance de la prise par l’employeur de toutes les mesures nécessaires pour la protection de la santé au travail

Les recommandations du médecin du travail marquées à l’attention de l’employeur sur la fiche d’aptitude représentent un sujet à part, détaillé dans un autre article.

Lectures recommandées :

  • Christian TORRES, Philippe DAVEZIES : « L’aptitude à la lumière de l’éthique », Les Cahiers SMT, juin 2004
  • Alain CARRE: « Absence de contre-indication et aptitude », Les Cahiers SMT, juin 2001

Page créée le 13/07/2012.

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