Cet article a comme objectif de mettre en lumière les différentes missions que le législateur assigne au médecin du travail dans le cadre juridique actuel, ainsi que les difficultés rencontrées dans la pratique de la médecine du travail pour atteindre l’objectif de protection de la santé au travail des salariés.
Du point de vue du législateur, les missions du médecin du travail lors des visites médicales sont les suivantes :
Définition de l’aptitude médicale au travail = présence des capacités intrinsèques physiques, intellectuelles et psychologiques nécessaires pour réaliser les tâches professionnelles
La pratique actuelle de la détermination systématique de l’aptitude lors de chaque visite médicale est controversée.
Le Code du travail actuel rappelle pour chaque type de visite médicale obligatoire (visite d’embauche, visite périodique, visite de reprise après maladie) que l’objectif de ces visites est la détermination de l’aptitude. Et cependant la mission principale assignée au médecin du travail par le même Code du travail est la prévention «de toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ».
On est dans une situation paradoxale : le médecin imposé au salarié et qui a le pouvoir de donner un avis d’inaptitude et donc de refuser au salarié d’effectuer le travail (car le contrat de travail est validé par l’avis d’aptitude) est le même que celui qui est censé protéger le salarié contre les risques professionnels. La relation de confiance médecin-patient tellement importante pour l’expression des problèmes de santé physique ou mentale, ainsi que pour la collaboration ultérieure est difficile à bâtir avec un salarié réticent à s’exprimer de peur que tout ce qu’il dit ne soit utilisé contre lui.
Pour cette raison, il convient de bien expliquer et de mettre en avant le fait que dans la grande majorité des cas d’inaptitude celle-ci est prononcée à des fins de prévention tertiaire, pour soustraire le salarié malade à un milieu professionnel susceptible de nuire à son état de santé, notamment en raison du risque d’aggravation d’une maladie préexistante.
Par rapport à l’utilité même de l’avis d’aptitude, dans un certain nombre de cas (comme par exemple dans une partie importante des activités professionnelles de la région parisienne – le secteur tertiaire, commerces ou services), l’employeur est lui-même en mesure de se rendre compte pendant la période d’essai des capacités physiques et mentales du salarié de réaliser le travail prescrit. De ce fait, dans ces situations, l’objectif de la visite médicale d’embauche n’est pas de statuer sur l’aptitude au poste, mais d’envisager les éventuels aménagements du poste nécessaires dans l’intérêt de la préservation de la santé et d’une bonne intégration au travail.
Le contrôle médical de l’aptitude reste néanmoins important et justifié pour les postes de sécurité (armée, police, marine, aviation etc.) dont la performance physique est essentielle pour la propre sécurité des salariés mêmes ou celles des tiers, ainsi que pour les postes à risques où une aggravation brusque de l’état de santé constitue un risque d’accident mortel ou de maladie par la personne même ou pour des tiers (chauffeurs, ouvriers dans le BTP ou l’industrie) ou dans les cas où l’état de santé du salarié pose un risque infectieux pour des tiers (restauration, milieu de soins, services accueillant des enfants etc.). Dans ces cas, l’évaluation médicale (examen clinique, consultations spécialisées, investigations complémentaires) reste indispensable.
Dans les cas des salariés exposés à certaines nuisances dont la maîtrise est plus difficile (par exemple, les substances CMR, où il n’existe pas de seuil qui garantisse l’absence du risque), le législateur demande au médecin du travail de se prononcer sur l’absence ou la présence de contre-indications médicales à ces expositions, soit d’écarter dans un objectif de protection par sélection les plus fragiles et les plus susceptibles de tomber malades, sur « des critères génétiques, comportementaux ou historiques », comme expliqué par le Conseil d’Etat en 2002.
Il s’agit donc une mission qui ne vise ni l’aptitude du sujet à exercer son travail, ni la prévention directe de maladies professionnelles, mais bien de déterminer la capacité de résister aux nuisances et contraintes auxquelles le salarié sera exposé et de prendre la décision de permettre cette exposition, sous réserve de prise de toutes les mesures de protection collectives et individuelles adaptées et de surveillance médicale renforcée.
Pour le médecin, prendre une telle une décision est discutable du point de vu scientifique et inacceptable du point de vue déontologique, car la sélection n’empêchera pas l’apparition des maladies professionnelles potentiellement mortelles, il s’agit juste une logique de gestion collective du risque. Il n’appartient pas au médecin de prendre la décision d’exposition individuelle aux nuisances, mais bien à chacun, employeur ou salarié, d’assumer les risques et les responsabilités, après avoir reçu une information claire et complète à ce sujet.
A l’occasion de la visite médicale, la mission de prévention est réalisée en délivrant des conseils de prévention et en prescrivant des vaccinations, ainsi qu’en faisant des recommandations à l’employeur sur l’aménagement du poste de travail et la maîtrise des risques professionnels.
Les conseils individuels sur les moyens de prévention par rapport aux risques professionnels peuvent être ignorés sciemment par les salariés, oubliés dans le temps ou s’avérer insuffisants. Combien d’information peut-on donner dans une visite médicale de 15-20 minutes tous les 2 ans, qui doit comprendre aussi la partie interrogatoire, examen clinique et explication des résultats ? Un mois après la visite médicale, seulement quelques messages de prévention (au mieux) seront retenus par le salarié. L’information devrait donc être relayée et répétée par l’employeur, qui a d’ailleurs l’obligation d’assurer une information et une formation adaptée, complète et périodique par rapport aux risques professionnels. Par ailleurs, à ce titre, l’expérience montre que les médecins du travail sont insuffisamment sollicités par les employeurs.
Les vaccinations préventives sont assez limitées et ne sont jamais efficaces à 100% ; de plus elles ne dispensent de la prise d’autres mesures de prévention existantes.
L’aménagement du poste de travail ainsi que la restriction de l’aptitude pour correspondre aux capacités physiques ou mentales restantes du salarié représentent des solutions plus pérennes. Ces recommandations sont difficilement appliquées par l’employeur, car cela implique une réorganisation interne, souvent une charge de travail supplémentaire pour les collègues, un effort RH pour assurer la bonne intégration sur le poste aménage, le tout se traduisant en coûts indirects pour l’employeur. En outre, dans un certain nombre de cas, l’évolution de la maladie demande de plus en plus d’efforts de la part de l’employeur. Ces aménagements peuvent permettre cependant d’éviter des arrêts-maladie répétés ou de longue durée, ce qui peut représenter un avantage non-négligeable et qu’il convient de bien expliquer. Une bonne collaboration entre le médecin du travail et l’employeur est également nécessaire.
En raison de sa connaissance des risques professionnels, du mécanisme d’apparition des maladies professionnelles et de la possibilité de prescrire les examens complémentaires qu’il juge nécessaires, le médecin du travail a tous les moyens pour assurer cette mission.
Un dépistage précoce permet une prise en charge thérapeutique précoce avec plus de chances de retour à la normalité, c’est une forme de prévention appelée prévention secondaire.
Parallèlement, il y a la reconnaissance sociale de l’imputabilité professionnelle de la maladie et sa réparation. A ce titre, il faut savoir que ce que l’on appelle « maladie professionnelle » est le résultat de l’accord entre les partenaires sociaux et que cette notion ne couvre qu’une partie des maladies liées au travail et seulement à partir d’un certain degré de gravité.
A part les maladies professionnelles indemnisables, entre 5 et 7 % des salariés en moyenne présentent une maladie ou une altération de la santé qui peut être mise en lien de causalité non-exclusif avec les contraintes et les nuisances du travail : ce sont les maladies à caractère professionnel. Elle peuvent être des maladies préexistantes aggravées par les contraintes ou les nuisances professionnelles ou des maladies liées au travail dans le développement desquelles les facteurs professionnels jouent un rôle important conjointement avec des facteurs de risque personnels ou environnementaux.
Cette altération de la santé ne bénéficie pas de prise en charge financière, ni d’autres avantages sociaux individuels et passe inaperçue par les employeurs. Elle est cependant responsable d’un mal-être et d’absences pour maladie ou d’une perte de productivité (le présentéisme), donc encore des coûts indirects.
Dans le cadre de l’accompagnement des salariés en difficulté médico-professionnelle, le médecin du travail a sa place particulière dans le réseau de prise en chargé pluridisciplinaire (médecin traitant, médecins spécialistes, consultations de pathologie professionnelle, médecin conseil, assistante sociale, MDPH, SAMETH, autres organismes).
L’objectif est de trouver la meilleure solution sociale et professionnelle individualisée, dans l’intérêt de la personne (que ce soit avec un non un maintien dans l’emploi dans son entreprise).
Page créée le 04/05/2011.