Travail en horaires atypiques et risques pour la santé

Réponses aux questions posées par « Atlantico », publiées dans l’édition du 3 octobre 2013

Document de référence : Recommandations de la Société Française de Médecine du travail sur la surveillance médico-professionnelle des travailleurs postés et/ou de nuit (label HAS le 24 mai 2012)

Atlantico : Après Séphora, l’enseigne Monoprix sera contrainte de fermer les portes d’une centaine de grands magasins après 21 heures, suite à un blocage des syndicats concernant un nouvel accord négocié sur le travail en soirée. La décision survient en plein débat sur le travail nocturne, mais quels sont donc les effets concrets des organisations atypiques du travail – de nuit, décalé, du dimanche – sur la santé ? Qu’en disent les études épidémiologiques ?

Les horaires de travail atypiques, notamment le travail de nuit, sollicitent intensément les mécanismes physiologiques d’adaptation de l’organisme, s’associent avec une diminution moyenne du temps de sommeil de 1 à 2 heures par tranche de 24 heures, insuffisamment récupérées en fin de semaine, constituant une dette de sommeil. Les effets chroniques sur la santé découlent de la répétition sur le long terme des perturbations des rythmes biologiques et de la privation de sommeil, qui agissent par des altérations du fonctionnement des systèmes immunitaire, métabolique, endocrinien, digestif etc.

Suite aux études épidémiologiques, nous connaissons assez bien la large palette de maladies associées à ces rythmes de travail; il s’agit notamment les maladies cardiovasculaires, l’obésité, l’hypertension artérielle, les perturbations du bilan lipidique, l’ulcère gastrique et les troubles digestifs, les troubles anxieux ou dépressifs, le cancer du sein, les effets sur l’évolution de la grossesse (avortements spontanés, accouchements prématurés, retard de croissance intra utérin).

Le travail de nuit ou en horaires décalés peut entraîner un isolement social, perturber la vie de famille, empêcher la pratique du sport ou de certains loisirs et faciliter l’abus de substances addictives (tabac, alcool, cannabis etc.).

Atlantico : Quelles sont précisément ces formes de travail atypique et surtout à quel moment commencent-elles à être dangereuses pour la santé ? A partir de quand peut-on dire que l’on travaille « de nuit » ?

Commençons avec les définitions réglementaires, et tout d’abord la définition du travail de nuit : le Code du travail définit généralement la nuit comme l’intervalle entre 21h et 6h et comme travailleur de nuit tout travailleur dont les horaires de travail habituels comprennent au moins 3 heures dans cet intervalle et ce au moins 2 fois par semaine ou encore tout travailleur qui accomplit sur une période de 12 mois consécutifs un minimum de 270 heures de travail de nuit.

Existent toutefois deux catégories d’exception. Premièrement : pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision, de production et d’exploitation cinématographiques, de spectacles vivants et de discothèque, la période de travail de nuit est fixée entre 24 heures et 7 heures

Pour les autres domaines d’activités couverts par une convention ou un accord collectif de branche étendu, un accord d’entreprise ou d’établissement ;  en tout état de cause l’intervalle compris entre 24 heures et 5 heures doit être considéré comme du travail de nuit

Définition du travail posté : Il n’y pas de définition du travail posté dans la réglementation française. Selon la directive européenne 93/104/CE, complétée par la directive 2003/88/CE : “on appelle travail posté tout mode d’organisation du travail en équipe selon lequel des travailleurs sont occupés successivement sur les mêmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris le rythme rotatif, et qui peut être de type continu ou discontinu, entraînant pour les travailleurs la nécessité d’accomplir un travail à des heures différentes sur une période donnée de jours ou de semaines”.

Du point de vue médical ou physiologique, il n’est pas possible de définir avec précision un modèle mathématique, qui n’a pas d’application au monde du vivant. Les effets néfastes sont généralement proportionnels :

  • à la durée des perturbations des rythmes biologiques et à leur répétition au cours de la vie
  • à l’intensité de ces perturbations, soit la brutalité des changements des rythmes d’un côté et la prise de mesures compensatoires de l’autre : prise de pauses, récupération de la dette de sommeil, équilibre alimentaire, exposition à la lumière, etc
  • à la capacité individuelle innée de s’adapter aux changements de rythmes, ainsi qu’au modèle circadien individuel (genre « du matin », « du soir » ou « ni du matin, ni du soir »).

La capacité individuelle d’adaptation aux changements des rythmes biologiques n’exclue aucunement l’apparition des effets à long terme. Une privation de sommeil entraîne des altérations fonctionnelles certaines, même si les ressources physiques et psychologiques permettent à l’individu de tolérer et d’être fonctionnel malgré les perturbations. Un exemple est le potentiel d’apparition du cancer du sein chez une femme travaillant la nuit.

Atlantico : Quel est l’impact de la luminosité sur la santé dans le travail ? L’éclairage des locaux peut-il avoir un impact direct sur la santé des travailleurs de nuit ?

La lumière joue un rôle synchronisateur des rythmes biologiques, par un effet « éveil » pendant la journée. L’exposition à la lumière intense pendant les premières heures de travail de nuit (supérieure à 1200 lux) améliore les performances, la vigilance, ainsi que la sécurité.

Le mécanisme inverse devrait être appliqué le matin, afin d’induire le sommeil : éviter la lumière du jour, en portant des lunettes de soleil pendant le trajet de retour, ainsi qu’au domicile.

Atlantico : Peut-on concilier ces formes de travail avec la préservation de la santé et la sécurité des personnes ? Quelles améliorations peut-on proposer ?

Conseils et de recommandations:

Recours au travail de nuit :

  • Limiter la durée des heures de travail pendant la nuit
  • Limiter la durée dans le temps de cette organisation

Prendre en compte le sur-risque d’accident :

  • En raison de la baisse de la vigilance, limiter les tâches nécessitant une grande concentration, responsabilité ou vigilance (exemple : l’accident de Tchernobyl est survenu la nuit à cause d’une erreur humaine)

Organisation du travail de nuit :

  • Eviter les alternances de poste et privilégier une régularité des horaires de travail
  • Si l’alternance de postes ne peut pas être évitée, préférer une rotation en sens horaire (matin > après-midi > nuit
  • Pour les postes de sécurité, prévoir au cours de la nuit de travail une pause de 30 minutes, allongé
  • Eviter de travailler plus de 2 nuits d’affilée
  • Organiser les horaires de manière à permettre un temps de repos et de récupération suffisant

Conditions de travail :

  • Assurer un éclairage intense en début de poste de nuit et un éclairage plus faible en  fin de poste de nuit
  • Prise unique de café en début de poste

Promotion de la santé / protection individuelle :

  • Affecter en priorité les volontaires pour le travail de nuit
  • Informer les salariés des bonnes pratiques individuelles
  • Exclure les femmes enceintes des postes de nuit
  • Affecter en priorité les travailleurs vieillissants à des postes de jour
  • Agir sur les cofacteurs individuels des maladies chroniques associées au travail poste et de nuit (tabagisme, obésité, sédentarisme, alimentation déséquilibrée)
  • Assurer l’accès à une surveillance médicale correcte en médecine du travail

Bonnes pratiques individuelles de prévention :

  • Dormir au moins 7 heures/jour et avoir une bonne hygiène de vie
  • Respecter des horaires réguliers de coucher et de lever autant que possible au cours de votre semaine de travail
  • Bien isoler votre chambre de la lumière extérieure si vous dormez en cours de journée
  • Limiter le bruit pendant le sommeil : prévenir votre entourage quand vous dormez pour éviter les réveils intempestifs
  • Si vous êtes en poste du matin ou de nuit, la sieste est utile pour lutter contre la dette de sommeil et compléter votre temps de sommeil sur 24 heures
  • Ne pas recourir à des médicaments hypnotiques pour faciliter le sommeil
  • Prendre 3 repas variés et équilibrés par jour, si possible à des horaires réguliers
  • Faire une collation légère en cas de poste du matin ou de poste de nuit
  • Ne pas sauter de repas et limiter le grignotage
  • Eviter une consommation excessive d’excitants (café, thé, colas, boisons énergétiques), surtout lors des 5 dernières heures de travail, afin de ne pas perturber le sommeil à venir
  • Pratiquer une activité physique régulière

Atlantico :Quelles sont parmi les différentes formes de travail atypique celles qui sont les plus dangereuses pour la santé ? Quels sont les plus « pénibles » et/ou les plus stressantes ?

Il est difficile de comparer entre elles les différentes formes de pénibilité, car elle sollicitent des aspects différents du fonctionnement du corps. Le point commun est l’installation d’une usure précoce, progressive, initialement infraclinique (non-dépistable au niveau individuel avec les moyens disponibles en médecine du travail), qui concoure avec d’autres facteurs individuels, professionnels ou environnementaux à l’apparition de maladies chroniques, à la baisse de la qualité de vie, à la diminution de l’espérance de vie en bonne santé, ce qui n’est pas acceptable de point de vue humain.

Nous avons discuté de la pénibilité des rythmes de travail, qui sollicitent les mécanismes fins du cycle éveil-sommeil, du fonctionnement mental et viscéral, avec retentissement endocrinien et métabolique. Lorsque l’on pense à la pénibilité du travail, on fait référence tout d’abord à la pénibilité des métiers physiques, caractérisés par la répétitivité des gestes, les postures articulaires contraignantes, les travaux de force ou de manipulation de charges, la transmission de vibrations au niveau du corps entier ou d’une partie du corps, qui vont solliciter les systèmes musculo-tendineux et ostéo-articulaire et vont conduire à leur usure prématurée, à côté des accidents et des maladies caractérisées.

Il existe aussi une pénibilité des expositions à des produits chimiques, qui entrent dans l’organisme par différentes voies, traversent le corps, se déposent pour des périodes différentes dans les tissus de l’organisme, sollicitent les mécanismes de détoxification de l’organisme au niveau du foie et s’éliminent notamment par voie urinaire ; tout au long de ce parcours, elle entrent en réaction avec les molécules composant les cellules et les tissus, en modifiant leur structure ou leur fonctionnement; nous ne sommes qu’au début de la compréhension des effets qui surviennent suite aux exposition à de très nombreux agents chimique à faibles doses, en raisons des difficultés d’étudier scientifiquement ce sujet, mais ces effets sont certains.

Il convient de souligner que les 10 facteurs de pénibilités réglementaires ne couvrent qu’un partie des situations de pénibilité au travail. Il faut parler, par exemple, de la pénibilité psychologique des métiers type conseiller de clientèle en centre d’appel, où le cumul de facteurs du type contact avec le public en difficulté ou agressif, les objectifs commerciaux à poursuivre, les délais à respecter, la pression hiérarchique et la surveillance continue, l’absence d’autonomie et d’évolution, l’insuffisance de reconnaissance matérielle et symbolique des efforts, conduisent à l’apparition dans un intervalle moyen de quelques années à de troubles anxiodépressifs chez une bonne partie du personnel.

Page créée le 03/10/2013.

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